par François Le Bescond
Comment et pourquoi devient-on scénariste de BD après avoir fait une grande école de commerce ? |
Cest une recette assez simple
finalement. Au départ, il a fallu quatre ingrédients : de la passion,
un peu de hasard, des rencontres
et beaucoup de travail. La passion, elle
existe depuis longtemps et elle est devenue une sorte de drogue. Je crois que,
au fil du temps, je suis devenu comme ces chercheurs dor du Far West,
qui ne vivaient que pour sentir ladrénaline couler dans leur veine
le jour où ils trouvaient une pépite. Et pour moi, la pépite,
cest la bonne histoire ! Le hasard, cest ma rencontre avec Alice
sans qui rien ne serait sans doute jamais arrivé. Quant aux rencontres,
du côté éditeur, il y a eu Jean-Claude Camano chez Glénat
(Le Troisième Testament) qui a été le seul et
le premier à nous faire confiance. Du côté auteur, il y
a eu, bien sûr, Alice, mais aussi Mathieu Lauffray qui ma non seulement
offert de collaborer avec lui et qui ma véritablement enseigné
une forme de philosophie de mon métier. Mais avant tout
cela, jai dabord dû bosser énormément.
Votre nom et celui dAlice est surtout associé, aujourdhui, au succès du Troisième Testament. Franchement, vous vous attendiez à un tel succès ? |
Franchement, pas vraiment. Nous avions cependant le sentiment, avec Alice, que le thème était porteur, que ça pouvait représenter une niche éditoriale en BD. Comme en plus on avait une foi totale
...Cest le cas de le dire. |
Oui ! En tout cas on y croyait, et ça sest effectivement bien passé
Le 4e sera le dernier album de la série. Quel que soit son succès ? |
Absolument, on arrive au bout du périple de Conrad, Trevor, Elisabeth et tous les personnages de lhistoire.
Vous aviez lu Umberto Ecco ? |
Bien sûr. Mais javais
aussi vu Indiana Jones, quantité de films et livres fantastiques
Nous sommes dans le même genre que Le Nom de la rose mais la
référence sarrête là: Le Nom de la rose
est un récit quasi philosophique en huis clos alors que Le Troisième
Testament est un récit de grande aventure, une quête à
travers lEurope médiévale.
Quel serait le nom de ce genre ? |
Un mélange de récits historique et fantastique. Un jour, pour plaisanter, on avait appelé ça du catholique-fantasy !
Il
y a dans Le Troisième Testament une matrice que lon retrouve
dans la plupart de vos créations : |
Ou la rédemption ! Mais,
oui, il sagit de thèmes qui me sont chers, et le fantastique est
un genre qui permet de les explorer particulièrement bien. Chaque être
humain a sa part dombre, ce que lon pourrait aussi appeler sa mauvaise
conscience, ses peurs inconscientes, ses désirs refoulés
. Le fantastique donne la possibilité de matérialiser ces
formes obscures et donc de créer un conflit visible et radical à
la place dune lutte qui ne devrait être quintérieure
et floue. Ce genre de combat na en général que deux issues
: la mort ou la vie, la folie ou la rédemption. A partir de là,
jessaye de créer un cadre fantastique en développant un
monde connu, codé, dans lequel jinsère un élément
anormal, voire inexplicable
Une veine quexploite parfaitement un Stephen King |
Cest le maître incontestable
du genre. Chacune de ses histoires explore des zones dombre : le refus
de la mort dans Cimetière, la tentation de la folie dans Shining,
la fragilité de léquilibre social dans Bazar, etc.
Sa véritable réussite est dexploiter tous ces thèmes
avec des moyens dramatiques très faibles et un résultat émotionnel
énorme. Une base simple, et puis tout bascule, inexorablement
Vous navez pas peur de tomber dans une forme de recette ? |
Jai encore jespère
! une grande marge de progression. Mais jai limpression daborder
des thématiques très différentes au bout du compte : lorgueil
et ses conséquences dans Prophet, la façon de lutter
contre ses propres démons dans Sanctuaire, la foi et la recherche
de vérité dans Le Troisième Testament
On
citait King, il se trouve que cet écrivain part à chaque fois
du même lieu, Castle Rock dans le Maine, mais il ne raconte jamais la
même histoire ! Entre la recette et la patte dauteur ,
la notion est, avouez-le, assez floue. Est-ce que tous les Agatha Christie sont
issus dune même recette ou est-ce quils soulignent une même
vision et des thèmes chers à lauteur ?
Vous faites souvent appel à la mystique. |
Oui, cest une des façons
de voyager le plus loin possible. Nous sommes à une époque où
le moindre centimètre carré de notre terre a été
quadrillé des centaines de fois par les satellites, où même
Mars ou la Lune ne sont plus tout à fait mystérieux. Où
fuir, comment sévader ? Grâce à ces histoires qui
jouent avec le temps, lespace, grâce aussi à la mystique
qui nous permet dexplorer de nouveaux territoires.
Vos sujets et votre façon décrire font indéniablement penser à un certain cinéma. Il se murmure même que vous avez des projets de ce côté-là |
Les Humanoïdes Associés ont créé une société aux Etats-Unis qui vend des scénarios, des licences de films. Ils mont demandé une note dintention, lont acceptée et ont décidé de financer lécriture du film sur ce sujet avec Fabien Nury-, et puis voilà, difficile den dire plus pour linstant
Fabien Nury avec lequel vous avez un gros projet en chantier |
Au départ Fabien est un ami. Il est aussi scénariste, il travaille pour linstant surtout pour les milieux du cinéma. Sa façon décrire et ses sujets dinspiration nous différenciant parfois, on sest dit quil fallait quon associe nos savoir-faire ! Cest comme ça quon a écrit WEST, une nouvelle série qui sera dessinée par Christian Rossi avec lequel Dargaud nous a mis en contact. Cétait une chance fabuleuse pour nous ! Il sagira grosso modo dun western fantastique qui se passe en 1901, aux Etats-Unis. Une période charnière Le premier volume devrait sortir fin 2002 au plus tôt, Christian devant finir sa série en cours chez Casterman, Tirésias, avec Le Tendre.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la structure The Script Company que vous avez créée ? |
Cest dans la continuité : avec Fabien on a eu lopportunité de sassocier avec la société de jeux vidéos Darkworks. On soccupe décriture, ce que les Américains appellent du script doctoring , cest-à-dire de la relecture et de la correction de script, et du développement de scénarios, pour linstant essentiellement pour les jeux vidéo.
Une activité que vous avez envie de développer ? |
Le métier de scénariste
est un métier de solitaire et il ny a pas ou presque pas
de formation. Lobjectif était donc de créer une structure
permettant de faciliter les échanges entre auteurs et, pour Darkworks,
lintérêt était doptimiser son activité
décriture de scénarios. Lobjectif financier est vraiment
secondaire.
Vous êtes un des rares scénaristes à avoir une démarche à ce point théorique et active sur votre métier. |
Jaimerais dabord être
un bon artisan avant dêtre autre chose. Toutes proportions gardées
et pour caricaturer un peu, je dirais quavant de vouloir écrire
du Kubrick, il faut savoir écrire du Hollywood night ! Lécriture
est un média auquel correspond une forme. Cest un peu comme une
symphonie : ce ne sont pas que des notes, il y a un ordre, un arrangement. En
me lançant dans le scénario, jai dabord voulu comprendre
ce langage, celui de la narration classique. Cela veut dire comprendre les basiques,
les théories de lécriture. Ce nest pas une fin en
soi, simplement il y a des règles à connaître. Tout le monde
a des idées : le chauffeur de taxi, notre concierge
Devant un piano,
tout le monde peut appuyer sur une touche et faire une note. Là où
ça devient difficile, cest de mettre ces idées ou ces notes
en ordre, de les arranger, les composer. Cest là quintervient
la compréhension de la forme du scénario. Après seulement,
le regard du scénariste peut se mettre en route et sexprimer. Cela
ne sert à rien davoir des idées si lon ne maîtrise
pas le langage pour les exprimer !
Mais
dautres scénaristes sont très à laise
dans limprovisation, dans lart de se laisser aller à
écrire une histoire de façon plus |
Il y a en gros trois types de
narration : la classique, la minimaliste et la déstructurée. Certains
scénaristes ont choisi dappliquer une narration plus ou moins déstructurée
ou minimaliste, comme Godard au cinéma. Mais dans tous les cas, il sagit
dun prolongement de la narration classique. Maintenant je nirai
jamais dire que Le Pont de la rivière Kwaï est mieux que
Pierrot le Fou : cest différent, voilà tout. Mais
faire de la narration classique, sans connaître un certain nombre de règles
de forme, cest comme écrire une symphonie sans faire la différence
entre un do et un si, cest risqué
Quel scénario auriez-vous rêvé écrire ? |
Aïe, je peux en citer combien ? (Rires.) Le Pont de la rivière Kwaï, Casablanca, African Queen, Douze hommes en colère, Spartacus, le premier Star Wars, le premier Indiana Jones, Alien, Jaws, La Mort aux trousses
Votre film culte ? |
Ceux dont jaurai rêvé décrire le scénario !
Votre livre fétiche ? |
La liste risque dêtre longue allez, le dernier que jai lu : Cimetière par Stephen King. Il y a aussi LIle de Robert Merle. Je viens de terminer Mr Vertigo de Paul Auster qui est aussi vraiment étonnant. Et puis comment ne pas citer LIle au trésor de Stevenson...
quatrième tome: lire l'interview d'alex alice et xavier dorison sur Vécu n°36(Glénat)
lire l'interview
de xavier dorison sur Vécu n°24 (Glénat)
lire l'interview
d'alex alice sur Vécu n°24 (Glénat)
propos recueillis par François Le Bescond.
Interview extraite du site des éditions Dargaud