xavier dorison

le stephen king de la bd?

  par François Le Bescond

Comment et pourquoi devient-on scénariste de BD après avoir fait… une grande école de commerce ?

C’est une recette assez simple finalement. Au départ, il a fallu quatre ingrédients : de la passion, un peu de hasard, des rencontres… et beaucoup de travail. La passion, elle existe depuis longtemps et elle est devenue une sorte de drogue. Je crois que, au fil du temps, je suis devenu comme ces chercheurs d’or du Far West, qui ne vivaient que pour sentir l’adrénaline couler dans leur veine le jour où ils trouvaient une pépite. Et pour moi, la pépite, c’est la bonne histoire ! Le hasard, c’est ma rencontre avec Alice sans qui rien ne serait sans doute jamais arrivé. Quant aux rencontres, du côté éditeur, il y a eu Jean-Claude Camano chez Glénat (Le Troisième Testament) qui a été le seul et le premier à nous faire confiance. Du côté auteur, il y a eu, bien sûr, Alice, mais aussi Mathieu Lauffray qui m’a non seulement offert de collaborer avec lui et qui m’a véritablement enseigné une forme de “ philosophie ” de mon métier. Mais avant tout cela, j’ai d’abord dû bosser énormément.

Votre nom – et celui d’Alice – est surtout associé, aujourd’hui, au succès du Troisième Testament. Franchement, vous vous attendiez à un tel succès ?

Franchement, pas vraiment. Nous avions cependant le sentiment, avec Alice, que le thème était porteur, que ça pouvait représenter une niche éditoriale en BD. Comme en plus on avait une foi totale…

...C’est le cas de le dire.

Oui ! En tout cas on y croyait, et ça s’est effectivement bien passé

Le 4e sera le dernier album de la série. Quel que soit son succès ?

Absolument, on arrive au bout du périple de Conrad, Trevor, Elisabeth et tous les personnages de l’histoire.

Vous aviez lu Umberto Ecco ?

Bien sûr. Mais j’avais aussi vu Indiana Jones, quantité de films et livres fantastiques… Nous sommes dans le même genre que Le Nom de la rose mais la référence s’arrête là: Le Nom de la rose est un récit quasi philosophique en huis clos alors que Le Troisième Testament est un récit de grande aventure, une quête à travers l’Europe médiévale.

Quel serait le nom de ce genre ?

Un mélange de récits historique et fantastique. Un jour, pour plaisanter, on avait appelé ça du “ catholique-fantasy ” !

Il y a dans Le Troisième Testament une matrice que l’on retrouve dans la plupart de vos créations :
l’inconnu qui engendre la peur, voire la folie.

Ou la rédemption ! Mais, oui, il s’agit de thèmes qui me sont chers, et le fantastique est un genre qui permet de les explorer particulièrement bien. Chaque être humain a sa part d’ombre, ce que l’on pourrait aussi appeler sa mauvaise conscience, ses peurs inconscientes, ses “ désirs refoulés ”. Le fantastique donne la possibilité de matérialiser ces formes obscures et donc de créer un conflit visible et radical à la place d’une lutte qui ne devrait être qu’intérieure et floue. Ce genre de combat n’a en général que deux issues : la mort ou la vie, la folie ou la rédemption. A partir de là, j’essaye de créer un cadre fantastique en développant un monde connu, codé, dans lequel j’insère un élément anormal, voire inexplicable…

Une veine qu’exploite parfaitement un Stephen King…

C’est le maître incontestable du genre. Chacune de ses histoires explore des zones d’ombre : le refus de la mort dans Cimetière, la tentation de la folie dans Shining, la fragilité de l’équilibre social dans Bazar, etc. Sa véritable réussite est d’exploiter tous ces thèmes avec des moyens dramatiques très faibles et un résultat émotionnel énorme. Une base simple, et puis tout bascule, inexorablement…

Vous n’avez pas peur de tomber dans une forme de recette ?

J’ai encore – j’espère ! – une grande marge de progression. Mais j’ai l’impression d’aborder des thématiques très différentes au bout du compte : l’orgueil et ses conséquences dans Prophet, la façon de lutter contre ses propres démons dans Sanctuaire, la foi et la recherche de vérité dans Le Troisième Testament… On citait King, il se trouve que cet écrivain part à chaque fois du même lieu, Castle Rock dans le Maine, mais il ne raconte jamais la même histoire ! Entre la recette et la “ patte d’auteur ”, la notion est, avouez-le, assez floue. Est-ce que tous les Agatha Christie sont issus d’une même recette ou est-ce qu’ils soulignent une même vision et des thèmes chers à l’auteur ?

Vous faites souvent appel à la mystique.

Oui, c’est une des façons de voyager le plus loin possible. Nous sommes à une époque où le moindre centimètre carré de notre terre a été quadrillé des centaines de fois par les satellites, où même Mars ou la Lune ne sont plus tout à fait mystérieux. Où fuir, comment s’évader ? Grâce à ces histoires qui jouent avec le temps, l’espace, grâce aussi à la mystique qui nous permet d’explorer de nouveaux territoires.

Vos sujets et votre façon d’écrire font indéniablement penser à un certain cinéma. Il se murmure même que vous avez des projets de ce côté-là…

Les Humanoïdes Associés ont créé une société aux Etats-Unis qui vend des scénarios, des licences de films. Ils m’ont demandé une note d’intention, l’ont acceptée et ont décidé de financer l’écriture du film sur ce sujet – avec Fabien Nury-, et puis voilà, difficile d’en dire plus pour l’instant…

Fabien Nury avec lequel vous avez un gros projet en chantier…

Au départ Fabien est un ami. Il est aussi scénariste, il travaille pour l’instant surtout pour les milieux du cinéma. Sa façon d’écrire et ses sujets d’inspiration nous différenciant parfois, on s’est dit qu’il fallait qu’on associe nos savoir-faire ! C’est comme ça qu’on a écrit WEST, une nouvelle série qui sera dessinée par Christian Rossi avec lequel Dargaud nous a mis en contact. C’était une chance fabuleuse pour nous ! Il s’agira – grosso modo – d’un western fantastique qui se passe en 1901, aux Etats-Unis. Une période charnière… Le premier volume devrait sortir fin 2002 au plus tôt, Christian devant finir sa série en cours chez Casterman, Tirésias, avec Le Tendre.

Pouvez-vous nous en dire plus sur la structure – The Script Company – que vous avez créée ?

C’est dans la continuité : avec Fabien on a eu l’opportunité de s’associer avec la société de jeux vidéos Darkworks. On s’occupe d’écriture, ce que les Américains appellent du “ script doctoring ”, c’est-à-dire de la relecture et de la correction de script, et du développement de scénarios, pour l’instant essentiellement pour les jeux vidéo.

Une activité que vous avez envie de développer ?

Le métier de scénariste est un métier de solitaire et il n’y a pas – ou presque pas – de formation. L’objectif était donc de créer une structure permettant de faciliter les échanges entre auteurs et, pour Darkworks, l’intérêt était d’optimiser son activité d’écriture de scénarios. L’objectif financier est vraiment secondaire.

Vous êtes un des rares scénaristes à avoir une démarche à ce point théorique et active sur votre métier.

J’aimerais d’abord être un bon artisan avant d’être autre chose. Toutes proportions gardées et pour caricaturer un peu, je dirais qu’avant de vouloir écrire du Kubrick, il faut savoir écrire du Hollywood night ! L’écriture est un média auquel correspond une forme. C’est un peu comme une symphonie : ce ne sont pas que des notes, il y a un ordre, un arrangement. En me lançant dans le scénario, j’ai d’abord voulu comprendre ce langage, celui de la narration classique. Cela veut dire comprendre les basiques, les théories de l’écriture. Ce n’est pas une fin en soi, simplement il y a des règles à connaître. Tout le monde a des idées : le chauffeur de taxi, notre concierge… Devant un piano, tout le monde peut appuyer sur une touche et faire une note. Là où ça devient difficile, c’est de mettre ces idées ou ces notes en ordre, de les arranger, les composer. C’est là qu’intervient la compréhension de la forme du scénario. Après seulement, le regard du scénariste peut se mettre en route et s’exprimer. Cela ne sert à rien d’avoir des idées si l’on ne maîtrise pas le langage pour les exprimer !

Mais d’autres scénaristes sont très à l’aise dans l’improvisation, dans l’art de se laisser aller à écrire une histoire de façon plus
aléatoire.

Il y a en gros trois types de narration : la classique, la minimaliste et la déstructurée. Certains scénaristes ont choisi d’appliquer une narration plus ou moins déstructurée ou minimaliste, comme Godard au cinéma. Mais dans tous les cas, il s’agit d’un prolongement de la narration classique. Maintenant je n’irai jamais dire que Le Pont de la rivière Kwaï est mieux que Pierrot le Fou : c’est différent, voilà tout. Mais faire de la narration classique, sans connaître un certain nombre de règles de forme, c’est comme écrire une symphonie sans faire la différence entre un do et un si, c’est risqué…

Quel scénario auriez-vous rêvé écrire ?…

Aïe, je peux en citer combien ? (Rires.) Le Pont de la rivière Kwaï, Casablanca, African Queen, Douze hommes en colère, Spartacus, le premier Star Wars, le premier Indiana Jones, Alien, Jaws, La Mort aux trousses

Votre film culte ?

Ceux dont j’aurai rêvé d’écrire le scénario !

Votre livre fétiche ?

La liste risque d’être longue… allez, le dernier que j’ai lu : Cimetière par Stephen King. Il y a aussi L’Ile de Robert Merle. Je viens de terminer Mr Vertigo de Paul Auster qui est aussi vraiment étonnant. Et puis comment ne pas citer L’Ile au trésor de Stevenson...

quatrième tome: lire l'interview d'alex alice et xavier dorison sur Vécu n°36(Glénat)

lire l'interview de xavier dorison sur Vécu n°24 (Glénat)
lire l'interview d'alex alice sur Vécu n°24 (Glénat)

propos recueillis par François Le Bescond.
Interview extraite du site des éditions Dargaud