la très sainte inquisition

Introduction

L’inquisition ou Saint Office est une institution ecclésiastique destinée à rechercher ( du latin Inquisitio : recherche .) et à punir l’hérésie. Hormis la fonction d’investigation, c’est surtout une forme de répression de l’hérésie établie de façon définitive par le pape Grégoire IX dans la première moitié du XIII ième siècle. Pour résumer:  Une institution, créée au XIII ième, avec une double fonction : Chercher et sévir.

Certes, la chasse à l’hérésie n’est pas un fait nouveau au XIII ième, ce qui est novateur, c’est la procédure. En effet, l’inquisition se présente comme un tribunal d’exception qui s’arroge le droit d’intervenir dans toutes les affaires concernant la défense de la foi. Elle doit son nom à la procédure inquisitoire qui permet la recherche systématique des suspects par le juge et leurs rapides arrestations. Créée pour lutter contre les cathares et les vaudois, elle étend ensuite ses activités, le tout épaulé nécessairement par le pouvoir civil qui lui fournit son bras armé.

Deux pays seront mis en exergue dans cet article, le royaume de France , principale laboratoire d’expérimentation de l’inquisition à ses débuts, et le royaume d’Espagne car l’inquisition y a connu une évolution originale (on peut également citer l'Allemagne et l'Amérique Espagnole, pour laquelle l' Inquisition servit surtout a contrôler les excès et la vie dissolue du Clergé local)

I. Origines de l’inquisition

A) Fides... non imponenda

La lutte contre l’hérésie n’est pas un fait nouveau au XIII ième, elle s’impose dès l’origine de l’Eglise mais jusqu’au XIIième,en guise de lutte, l’autorité ecclésiastique s’en tient habituellement à des peines spirituelles dont la plus grave est l’excommunication .Il faut dire que la majorité des Pères de l’Eglise condamnent le châtiment des hérétiques par des peines physiques. L’Eglise respecte le principe énoncé par Bernard de Clairvaux : ‘ Fides suadenda non imponenda ‘ ( la foi doit être persuadée non imposée ).

Cependant, un tournant s’effectue dans la seconde moitié du XII ième siècle, et ceci pour deux raisons : Tout d’abord, des princes recourent aux châtiments physiques pour lutter contre l’hérésie ( assimilée à un crime de lèse-majesté ), ensuite, les hérésies prennent une ampleur inquiétante à partir de la seconde moitié du XII ième. D’où une réaction de l’Eglise qui consiste à trouver de nouveaux moyens de répression pour enrayer l’hérésie et de mettre un frein aux violences arbitraires des princes.

B) Mise en place de l’inquisition

Celle-ci répond à un double souci : donner une organisation légale à la lutte contre l’hérésie ( pour contrer les princes, c’est l’Inquisition en elle-même ) et mettre en œuvre des moyens de répression plus efficaces, plus rapides, plus définitifs ( c’est la procédure inquisitoire dont la finalité est de faire face à une situation d’urgence ).

C’est avec le pontife Innocent III ( 1198-1216) que la nouvelle procédure va prendre corps, on passe d’une procédure par accusation ( où le point de départ est une délation ) à une procédure qui permet de poursuivre d’office et d’incarcérer toute personne vaguement soupçonnée, ce qui rend possible une répression véloce et efficace. Le concile oecuménique de 1215 reprend et officialise toutes les dispositions concernant la répression des hérésies. Reste à institutionnaliser celle-ci...c’est le rôle du pape Grégoire IX avec la Constitution Excommunicamus de février 1231.A partir de cette date, l’Inquisition est vraiment née, elle est d’origine pontificale et elle incombe totalement aux évêques.

II. Les débuts et l’expansion de l’Inquisition

A) Les premiers pas

C’est dans le Saint Empire Romain Germanique que Grégoire IX expérimente pour la première fois sa constitution de 1231. Pour se faire, il nomme un prêtre : Conrad de Marbourg. Celui-ci a pour unique tache la poursuite de l’hérésie, il a pour ce faire des pouvoirs quasi-illimités, possibilité d’user de l’excommunication, de l’interdit, de faire appel au bras séculier pour exécuter ses jugements , il domine un tribunal composé de plusieurs juges qui lui sont totalement assujettis. Cet ensemble de mesures qui attribuent de tels pouvoirs à un seul homme, qui donnent à un tribunal d’exception le châtiment des ennemis de la foi par l’application d’une législation aussi rigoureuse que précise, c’est tout bonnement l’acte de naissance de l’Inquisition !

Notons que le choix de Conrad de Marbourg fut malencontreux car ce dernier se comportera de façon excessive, multipliant les bûchers, usant grâce au recours du bras séculier d’une violence littéralement injustifiée. Il finira par se faire assassiner en juillet 1233 ( la date mérite d’être retenue, c’est le premier cas d’assassinat d’un inquisiteur ). Surtout, elle marque l’échec de l’inquisition dans l’Empire. Grégoire IX va réagir en conséquence en promulguant une mesure importante : l’Inquisitio Hereticae Pravitatis en avril 1233, désormais, les évêques et les autres prélats sont dessaisis de la chasse des hérésies, tache dès lors exclusivement confiée aux Mendiants ( et avant tout aux dominicains ou prêcheurs.). L’Inquisition change ainsi de caractère, on passe d’une Inquisition épiscopale à une institution essentiellement pontificale.

B) L’expansion

Malgré l’échec dans l’Empire, l’Inquisition connaît une expansion rapide, toute la chrétienté est concernée dès la moitié du XIII ième ( sauf l’Angleterre ).En 1230-1233, c'est comme nous l'avons vu la première application et l'échec dans l’Empire. En avril 1233, la papauté promulgue l’Inquisitio Hereticae Pravitatis : l’Inquisition est étendue au royaume de France et aux régions limitrophes et est confiée aux dominicains. Fin 1233, c'est la mise en place des premiers tribunaux dans le midi ( Avignon, Toulouse ...). En 1237, des juges sont installés à Carcassonne. En Italie, l’Inquisition ne s’installe vraiment qu’en 1235-1237.

Dans la chrétienté, un royaume traduit bien cette expansion, le royaume de France. L’étude d’icelui nécessite de distinguer le midi et le nord car le premier constitue un cas à part, c’est en effet le théâtre privilégié de l’Inquisition, on peut même considérer que le midi en est une des inspirations directes ( dû bien sur à la présence de forts contingents d’hérétiques , Vaudois et Cathares notamment. C’est pour lutter contre ces derniers que l’Inquisition sera créée. ). Mais si l’Inquisition connaît ses débuts dans le midi français, son implantation ne se fera pas sans mal. à Avignon, l’inquisiteur Guillaume de Valence a beaucoup de difficultés en 1246 face aux vaudois implantés dans la ville. A Montpellier, le dominicain Pierre de Marseillan poursuit cathares et vaudois jusqu’en 1244 non sans mal. A Carcassonne, le catalan Ferrier ( 1237-1244 ) a laissé une réputation tenace, il y gagne le surnom de " Marteau des hérétiques ". Les juges de Toulouse sont expulsés de la ville en 1235. A Avignonet ( dans l’Isère ), le dominicain Guillaume Arnaud et le franciscain Raimond Escriban se font massacrés en mai 1242, victimes d’un guet-apens tendu par des cathares. La conjoncture ne redevient favorable à l’Inquisition qu’avec la nomination de Bernard de Caux et de Jean de Saint Pierre qui s’établissent à Toulouse en 1245.

Dans le nord du royaume de France, l’Inquisition s’installe tout aussi rapidement mais de façon moins méthodique, plus désordonnée. Là, la figure emblématique est celle de Robert le Bougre qui résume à lui tout seul l’Inquisition dans le nord. Nous en reparlerons plus tard.

C) Apogée et déclin de l’Inquisition

Malgré quelques crises internes ( qu’on peut résumer par des conflits entre les évêques et les mendiants), l’Inquisition connaît son apogée au XIII ième, notamment à partir de la moitié du XIII ième. En 1252, la " question " ( entendez, la torture ) est officiellement reconnue. En 1256, le pontife Alexandre IV accorde aux inquisiteurs le droit de se relever mutuellement de l’excommunication ... c’est le paroxysme de leur puissance. A Vérone, 200 cathares terminent leurs jours sur un bûcher en février 1278.

Cependant, l’institution connaît un déclin rapide et ceci dès la fin du XIII ième, on peut légitimement se demander pourquoi ?. A cause notamment des abus de l’institution , les exactions des inquisiteurs, leur usage abusif de la torture, les conditions d’emprisonnement, leur trop grande puissance, tout cela provoque un phénomène de rejet, de dégoût, d’autant plus qu’à la fin du XIII ième, l’institution ne se justifie plus du fait que les hérésie cathares et vaudoise ont été fortement laminées. C’est le pontificat qui va réagir. En 1312, le pape Clément V promulgue que dès lors la collaboration entre les inquisiteurs et les évêques sera exigée pour tous les actes importants de la procédure et pour l’utilisation de la torture. La puissance de l’Inquisition en fut irrémédiablement atteinte, les inquisiteurs ayant perdu une bonne partie de leur pouvoir et de leur prestige, il n’est pas rare de les voir poursuivis pour impéritie .

Certes, un tribunal comme celui de Toulouse conserve son activité avec l’inquisiteur fameux Bernard Gui ( 1306-1323) mais cela ne dure pas. Et si on continue à nommer des inquisiteurs aux XIV et XV ième siècles, leurs fonctions deviennent complètement accessoire.

III. L’Inquisition,organisation et procédure

A) Les tribunaux

Si parfois l’Inquisition est itinérante, en général elle se sert d’un tribunal à siège fixe " la maison de l’Inquisition " où vivent les inquisiteurs et leurs familiers. Chaque tribunal est présidé par deux juges ( jamais un ) aux pouvoirs égaux qui sont presque toujours des frères mendiants, et sont désignés par les supérieurs de leurs ordres. Pour bien s’acquitter de leur charge, ces inquisiteurs/juges disposent de nombreux textes pontificaux, ils peuvent consulter des juristes ( qu’on rencontre souvent dans les tribunaux ). Ils ont à leur disposition des manuels, véritables traités comme le "Pratica Inquisitionis" de l’inquisiteur Bernard Gui ( 1324 ).

B) Les procédures

Pour la recherche des suspects : on recourt soit à l’enquête générale soit à la citation individuelle. Dans le premier cas, les inquisiteurs partent en tournée ou le plus souvent convoquent au tribunal la population entière d’un village, d’un quartier. En cas de convocation, la présence est évidemment obligatoire. Pour la comparaison individuelle, la citation se fait par le biais du curé de paroisse. Le refus de l’intéressé entraîne l’excommunication d’abord temporaire puis définitive après un an. Pour les poursuites, les inquisiteurs font appel à des officiers de justice de second rang ( qu’on appelle parfois des sergents ).

Les suspects : Toute personne interrogée est de facto suspecte. Une fois convoqué, l’intéressé fait serment de tout révéler devant notaires et témoins ( mais pas toujours ), puis fait sa déposition. Pour faire avouer, les inquisiteurs ont recours à de multiples moyens : convocations nombreuses, incarcération plus ou moins longue ( dit "carcer durus" ),privation de nourriture, recours à la délation ( à défaut d’aveux, la preuve sera fournie par des témoins, si un voisin vous gène, c’est l’occasion...), la torture bien sur à partir de 1252.

Les peines : Elles ne sont pas considérées comme telles mais plutôt comme des pénitences salutaires pour le bien de l’accusé ( Ne pas oublier que pour le juge, la condamnation au bûcher est un acte de rédemption pour l’accusé car si son corps meurt, le plus important est que son âme soit sauvée par se geste purificateur.).Les peines les moins sévères ( celle du temps de grâce ) sont diverses, de la fustigation pendant la messe aux pèlerinages, de l’entretien obligatoire d’un pauvre au port de la croix d’infamie sur les vêtements. Pour celui qui s’est converti au bon moment ( celui qui s’est dénoncé pendant le temps de grâce ), il évite la mort mais c’est l’incarcération assurée. L’emprisonnement est de deux types : ce qu’on appelle le mur large ( au sens spatial, la vie y est relativement tolérable ), et le mur étroit ( c’est la mort assurée à court terme car le mur étroit désigne le plus souvent se faire emmurer vivant ). Pour les relaps ou les opiniâtres, l’Inquisition désarmée ( car l’Eglise ne peut faire couler le sang elle-même ) abandonne l’accusé au bras séculier, ce qui implique automatiquement la condamnation au bûcher. Notons que les biens de l’accusé sont dans ce cas confisqués au profit de l’Inquisition. Hormis pour quelques minoritaires inquisiteurs trop zélés, la condamnation au bûcher reste une mesure exceptionnelle ( quatre pendant la carrière de Bernard Gui qui pourtant s’est fait une belle réputation ).

Pour un cas concret : Prenons un inquisiteur qui vient d’être nommé pour faire une enquête dans telle ville. Ce dernier arrive dans la cité accompagné par un congénère ou plusieurs ( un inquisiteur se déplace rarement seul ) ce qui créer en général une belle pagaille ( voire un certain mouvement de panique, l’Inquisition n’a pas belle réputation ). Notre inquisiteur va commencer son enquête par la publication de deux édits : l’édit de foi adressé aux fidèles et les obligeant sous peine d’excommunication à dénoncer les hérétiques ; et l’édit dit de grâce adressé aux hérétiques et leur donnant un délai de 15 à 30 jours pour se rétracter. Le temps de grâce permet à celui qui se dénonce d’éviter les peines les plus graves, il ne sera pas livrer au bras séculier ( il évitera donc le bûcher ), il sera " seulement " condamné à des peines canoniques Passé le délai de grâce, l’accusé tombe sous le coup de la justice inquisitoriale, il est d’abord soumis à un interrogatoire musclé visant à entraîner l’aveu, tous les moyens peuvent être utilisés. La procédure terminée, la sentence est prononcée après consultation d’un jury comprenant des clercs séculiers et réguliers et des jurisconsultes laïcs au cours d’une assemblée solennelle, publique et officielle ( nommée Sermo généralis ou Auto Da Fé en Espagne ).

C) Un exemple d'inquisiteur : Robert dit le Bougre

En guise d'illustration d'un inquisiteur, le personnage de Robert le Bougre est extrêmement intéressant, notamment parce qu'il illustre le fait que l'inquisition ne s'est pas limitée au sud du royaume de France ( comme on a tendance à le croire ), mais qu'elle a sévi aussi bien en Bourgogne qu'en Champagne voire dans les régions du nord. De plus, Robert le Bougre est l’archétype même de l’inquisiteur "morigène" qui sème des bûchers partout où il passe.

En effet, le pape donne mandat à un certain Robert le Petit en avril 1233 pour extirper l’hérésie cathare. Ce dernier est peu connu avant cette date, on sait seulement que c’est un ancien hérétique qui a vécu à Milan pendant de longues années dans la " loi de la mescréandise " ( il était sans aucun doute cathare d’où son surnom de le Bougre associé à cette hérésie ), il finit par se convertir et prendre l’habit de dominicains. En 1233, après avoir obtenu son mandat, il sévit à la Charité-sur-Loire, ses actions y sont tellement brutales que le pape Grégoire IX suspend ses pouvoirs dès février 1234. Rentré en grâce en août 1235, il reprend une activité frénétique, et au cours d’une brève tournée en 1236 à Châlons-sur-Marne, Péronne, Douai, Lille, il fait au moins 50 victimes. Puis, il sévit en Champagne où il est à l’origine du fameux bûcher du Mont Saint-Aimé où sont brûlés 183 accusés le 13 mai 1239, le tout devant le comte Thibaut IV et toute sa cour réunie. Ces excès finissent par entraîner la disgrâce de Robert le Petit/le Bougre, il sera condamné à la prison perpétuelle à une date qui reste obscure.

IV. Un cas particulier : L’Espagne

L’Inquisition espagnole est originale pour diverses raisons :

- Par sa naissance tardive, elle est en effet créée en 1479 par Ferdinand et Isabelle souverains d’Espagne.

- par sa pérennité, elle est abolie définitivement qu’en 1820 !!

- par son étatisation, elle est dès l’origine sous le contrôle de l’Etat et non de l’Eglise.

- par sa réaction contre les minorités religieuses incorporées lors de la Reconquista, c’est-à-dire les Conversos, c’est pour les surveiller et punir les relaps que l’institution fut créée.

- par son impact important sur la société espagnole, elle a empêché l’implantation en Espagne du protestantisme, de la philosophie des lumières, des idées de la révolution françaises...

- par l’importance de ses victimes :2000 morts sous Thomas  de Torquemada, un dominicain, le plus grand inquisiteur espagnol, qui dirigea l’Inquisition de 1483 à 1498, il fut réprouvé par le pontife lui-même.

- par son organisation qui est mixte, à la fois religieuse et étatique. A sa tête, un conseil suprême avec pour président l’inquisiteur général ( comme Torquemada ). Ce conseil contrôle une quinzaine de tribunaux, chaque tribunal comprend des juges et un procureur ainsi que des clercs spécialisés en théologie, s’en compter les familiers et les officiers. Les compétences de ces tribunaux sont très élargies, en clair, ils peuvent se saisir de tout ce qui concerne le domaine de la foi ( hérésie, mais aussi la sorcellerie, les blasphèmes...). Par contre la procédure reste traditionnelle, totalement secrète, elle aboutit à la fameuse Auto Da Fé.